Jérôme de Jean-Pierre Martinet
- Par isabelle_aubry
- Le 13/07/2020
- Dans Livre
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Un livre de la bibliothèque de Melun :
Jean-Pierre MARTINET :
né à Libourne (Gironde) le 12 décembre 1944 et mort dans la même ville le 18 janvier 1993, à 48 ans, est un écrivain français.
Il est l'auteur de romans et de nouvelles caractérisés par une noirceur absolue et un profond pessimisme.
Écrits à la fin des Trente Glorieuses, ses romans présentent la face cachée du miracle économique, l'avachissement moral et les névroses d'un petit peuple déboussolé et désespéré par les mutations de la société.
Depuis des années, ce livre était devenu introuvable et on ne parlait plus qu'à voix basse de ce livre monstre, de ce livre dans lequel Martinet rend hommage à ses maîtres, Dostoïevski, Joyce, Gombrowicz ou Céline.
Dans sa propre notice biographique, il avait noté :
« Parti de rien, Martinet a accompli une trajectoire exemplaire : il est arrivé nulle part ».
Redécouvert et réédité depuis 2006, Jean-Pierre Martinet, est l'objet de mémoires universitaires en France et en Suisse.
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"Jérôme" est un livre monstrueux dans tous les sens du terme : un énorme pavé sans paragraphe écrit en police 6, déjà ça impressionne ; mais quand en plus il est question de parler là-dedans de la folie, de l'horreur d'être en vie, de l'échec du langage et de la déviance psycho-sexuelle, on se rend compte qu'on a affaire à du costaud. En gros, on prend une bonne respiration au début, et on ne la relâchera qu'à la toute fin, avec l'impression d'avoir été immergé dans un flot intarissable de mots heurtés, de violence et de rythmes infernaux.
D'emblée, le lecteur est immergé dans le flot ininterrompu des pensées de Jérôme, qui nous livre ainsi, avec une volubilité qui suscite assez vite un certain malaise, ses angoisses, les manifestations de sa paranoïa, ses fantasmes, et l'obsession qui hante jour et nuit son cerveau malade, qui a pour nom Paulina Semilionova, adolescente de 15 ans qu'il traque sans répit dans un Paris, "banlieue de St-Petersbourg", devenu tentaculaire et dangereux......
Précisons que Jérôme est quant à lui un grand garçon de 42 ans, de stature plutôt imposante (il pèse 150 kilos pour 1m90), qui vit toujours chez sa "mamame"...
"Jérôme" est un récit à la fois sombre et superbe, glauque et fécond, dont l'aspect burlesque de certaines situations ne parvient pas à alléger l'atmosphère. D'ailleurs, ce n'est pas le but : il sourd de ce roman un désespoir sans fond, un dégoût de la vie qui font de cette lecture une expérience forte mais presque douloureuse.
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Pour qui aurait lu "La conjuration des imbéciles" / J.K. Toole, ...
[À trente ans passés, Ignatius vit encore cloîtré chez sa mère, à La Nouvelle-Orléans. Harassée par ses frasques, celle-ci le somme de trouver du travail. C'est sans compter avec sa silhouette éléphantesque et son arrogance bizarre...
Chef d'œuvre de la littérature américaine, La conjuration des imbéciles offre le génial portrait d'un Don Quichotte yankee inclassable et culte.]
..."Jérôme" c'est un Ignatius Reilly, en PIRE !!
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L'écriture de Jean-Pierre Martinet n'est pas sans évoquer Céline.
La trame du roman, et l'atmosphère qui le baigne, m'ont en revanche fait penser à certains auteurs russes, notamment Gogol, avec son "Journal d'un fou", ou encore Dostoïevski, auquel l'auteur fait référence à de nombreuses reprises.
Ceci dit, le talent de Jean-Pierre Martinet est bel et bien original ; il rend certes hommage, tout au long de ce récit, à quelques-uns des écrivains qu'il admirait, mais lorsque l'on referme "Jérôme", on a la certitude de n'avoir jamais rien lu de semblable.
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EXTRAITS (sobres) :
- (La mère de Jérôme, phénomène en soi également ^^, parle de son fils, dans ces premières lignes....) :
"A cause d’un caoutchouc percé, on donne naissance hu hu. Naissance, c’est-à-dire moisissure, et aussi cet assassin qui grandit dans vos propres entrailles, en donnant des coups de pieds, histoire, déjà, de vous faire mal. Vous dévorant, déjà. Car moi, entre nous, l’amour, c’était pas pour avoir un enfant. Il grandissait en moi, il grandissait, me bouffait, cognait, il s’augmentait de ma propre vie, mais je n’y tenais pas tellement. Ratage intégral : il naît. Trop tard pour le tuer. Vit. Gigote. Tant pis. On ne peut plus. Grandir, eh oui. Sans doute trop forte la pression du foutre sur le caoutchouc. Ou alors, mauvaise qualité. Ça arrive. Alors, à un moment, il faut bien. Voilà. On l’appelle Jérôme Bauche. C’est un genre de malentendu, toute cette histoire, voilà. Il est là. On dit…
C’est un genre d’histoire courant. Je me moquais bien des radotages de mamame. Il y avait bien longtemps que je savais à quel misérable miracle je devais la vie (d’après pas mal de gens, et puis d’après des statistiques, et puis d’après mes lectures, la prison contre les murs de laquelle je me cognais la tête tous les jours, c’était ce qu’on appelle, en général, la vie. Oui, c’est comme ça, qu’on l’appelle, à ce qu’il paraît…)."
- " Il y en a beaucoup comme moi. Enfants, ils ont déjà tout perdu. Adultes, ils ne sont plus que des fantômes. Ils rêvent de se venger, mais bien peu passent aux actes. Le plaisir dans les lits moites, ils finissent par s’y adonner, alors qu’ils voudraient se tuer, ou, dans le meilleur des cas, tuer leurs semblables… Moi, de ces quelques gouttes de foutre qu’un mort a déposées dans le ventre chaud de ma mère, y faisant naître cet abcès dont je suis sorti, monceau d’entrailles à mon tour, j’ai tiré ma haine, froide comme un acier, lucide comme un poignard."
- " Ma vie était peut-être minable, complètement ratée, un désert, mais au moins c’était la mienne, c’était la mienne, oui, avec ses pauvres rêves, avec ses réveils brusques, avec son absence de Polly, c’était la mienne, cent cinquante kilos à chaque seconde de la journée, un lit vide, pas beaucoup d’espace certes, ma vie, je n’avais que celle-là, ces draps sales qui me serviraient peut-être de linceul quand la mort viendrait me chercher, presque rien, une vie dérisoire, une porte battante et pourtant…"
- "Quand je mourrais, je me souviendrais de la vie comme d’une méduse d’une taille monstrueuse que l’on effleure avec dégoût, parce qu’il faut bien, et moi aussi je me sentais comme ça, fuyant, visqueux, comme les autres, pas épargné par le désastre universel, oh non, mais flasque, si flasque, avec ma peau flasque, mes paroles flasques, mes histoires vaseuses, la flaccidité de mes pensées, et le dégoût de moi-même, au fond, tout au fond, ces flatulences qui jamais ne parvenaient à l’air libre et m’asphyxiaient lentement. Je me sentais gluant et sombre, comme si le monde dans lequel on m’avait plongé de force, à ma naissance, avait fini par devenir ma propre substance, à force."
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"Certains livres ont le mérite non seulement de remettre les pendules à l’heure mais d’en arracher les aiguilles pour les planter dans notre nuque comme deux nécessaires banderilles. […] Jérôme est un livre aux mille douleurs, aux mille splendeurs, un livre-lave, dont la puissante ivresse brûle de vie."
(Claro, Le Monde.)
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Entre détracteurs enragés et admirateurs fascinés, Jérôme est de ces romans qui interdisent la modération......
Ce livre questionne : Martinet, écrivain génial à l'imagination telle qu'il peut se glisser dans la peau d'un névrotique cumulant toutes les névroses imaginables ?
ou névrosé lui-même?, (il est mort à 48 ans, alcoolique) ;
j'en doute, à cause du style et de l'écriture très pointus restituant toute la névrose de son personnage, Jérôme.
Martinet, sujet de thèse, ex. : http://www.theses.fr/s220435
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